L’Europe, ou du moins ses dirigeants, ont du mal à se confronter à la réalité, évidente pour tout le reste du monde. Pour commencer, les Européens préfèrent parler du « continent » Europe avec l’Oural comme frontière orientale, alors qu’il s’agit plus précisément de la péninsule occidentale de l’Eurasie (Grataloup Christian, 2009, L’Invention des continents : comment l’Europe a découpé le monde, Paris, Larousse ; Grataloup Christian, 2023, Géohistoire, Les Arènes). L’eurocentrisme n’est pas une vue de l’esprit. C’est une réalité manifeste qui s’est matérialisée à partir de la fin du XVème siècle avec ce que les Européens ont appelé les « voyages de découverte ». Les Européens ont découvert le reste du monde. René Caillié a « découvert » Tombouctou ; Mungo Park a « découvert » le Niger ; Livingstone a « découvert » les sources du Nil ; etc. Les peuples vivant dans tous ces espaces ont été découverts. L’expansion européenne, ayant entraîné la mise en esclavage des Africains, la conquête militaire de leurs terres et la domination coloniale, a permis à l’Europe de siphonner les ressources des colonies et pays dominés pour construire sa prospérité. Le mépris pour les peuples et cultures non européennes date de ces moments-là, et à ce jour, ce complexe de supériorité reste intact.
Pour les Européens, malgré les vexations au quotidien des peuples colonisés – certains ayant été victimes de génocide, à l’exemple des Hereros exterminés par les colons allemands dans le Sud-Ouest africain (aujourd’hui Namibie) –, il est tout à fait normal d’avoir levé des contingents d’Africains (tirailleurs) pour la conquête et répression coloniales et la participation aux guerres européennes – qui sont par extension appelées « Guerre mondiale I et II ». Non contents d’avoir bénéficié du soutien des colonisés dans la lutte contre le nazisme, les armées françaises ont procédé au mitraillage d’anciens combattants qui réclamaient leurs pensions impayées le 1er décembre 1944 à Thiaroye, près de Dakar. Pour le gouvernement français, il y aurait eu 35 morts ; pour l’armée française, le bilan aurait été de 70 morts ; mais pour les vétérans, le bilan s’élèverait plutôt à 300 morts.
Les Européens sont convaincus d’avoir apporté les lumières de la civilisation aux Africains qui n’en avaient pas. Et surtout, au plus profond d’eux-mêmes, ils/elles restent convaincus de représenter l’humanité dans sa plus parfaite expression. Pour en venir à la situation européenne au cours du premier semestre de l’an 2025, on a du mal à comprendre le comportement des élites dirigeantes européennes. Le régime du président Biden appliquait à la lettre près la doctrine Brzezinski visant à affaiblir puis démanteler la Fédération de Russie : « Bien que Brzezinski soit décédé, son œuvre est toujours d’actualité ; l’administration Biden suit le plan géostratégique de Brzezinski, qui soutient l’Ukraine sur les plans militaire, logistique, diplomatique et politique. Le fils de Zbigniew Brzezinski, Mark Brzezinski, est ambassadeur des États-Unis en Pologne et aide ses supérieurs à mettre en œuvre sur le terrain la vision géostratégique de son père, grâce à laquelle l’armée ukrainienne est toujours debout et capable non seulement de repousser l’offensive russe, mais aussi de lancer une contre-offensive réussie ». La question est de savoir : qu’est-ce qui constitue la doctrine Brzezinski aujourd’hui ? comme formulé par un des admirateurs de Zbig (in La doctrine Brzezinski et la réponse de l’OTAN à l’assaut russe contre l’Ukraine (2022-) de Piotr Pietrzak : Dulce Bellum Inexpertis).
Les dirigeants européens ont fait leur la vision états-unienne de la Fédération de Russie et se sont laissés piéger par des mesures contraires aux intérêts de leurs peuples respectifs. L’énergie bon marché en provenance de Russie, qui leur donnait une certaine marge dans la compétitivité économique, a été interrompue par le sabotage du gazoduc Nord Stream. L’Europe s’est laissé vassaliser par un gouvernement états-unien qui a entrepris de changer le régime politique en Ukraine en renversant un président démocratiquement élu sous le couvert de la révolution Maïdan. Ceci n’est pourtant un secret pour personne. Les souffrances des populations russophones de l’Ukraine de 2014 à 2022 n’émouvaient personne dans cette Europe satellisée.
Les négociations Minsk 1 et 2, engagées de bonne foi par la Russie, n’ont été qu’une ruse pour les Européens pour se donner le temps de préparer la guerre et entreprendre l’armement de l’Ukraine. L’élection d’un comédien comme président a ipso facto transformé ce pays en champion de démocratie et des droits humains. Confirmé par l’ex-chancelière Merkel et François Hollande, l’Europe a entrepris de duper la Russie, qui s’est bien fait avoir… C’est donc surprenant que les dirigeants européens soient surpris que les dirigeants de la Fédération de Russie ne fassent aucune confiance aux Occidentaux…

Le président William Jefferson Clinton a snobé Boris Eltsine et déclenché la première vague d’extension de l’OTAN… Il ne restait que la Géorgie et l’Ukraine pour boucler l’encerclement… Méprisants comme ils/elles savent l’être, les dirigeants occidentaux n’ont tenu aucun compte des avertissements des dirigeants de la Fédération de Russie…
De deux choses l’une : soit les commentateurs occidentaux sont ignorants — ce qui est bien sûr très improbable —, soit ils/elles sont devenus des rouages d’une machine de lavage de cerveaux au service de projets hégémoniques… La formule aujourd’hui célèbre… « Unprovoked… » (« Sans provocation… ») est devenue un slogan des médias occidentaux… De la propagande dans sa forme brute, qui a donné lieu à l’expression « L’Empire du Mensonge »…

Ce qui est tout à fait étonnant, c’est que les Européens soient surpris d’être tenus à l’écart des discussions en cours et des futures décisions importantes sur la paix en Europe. L’Union européenne est partie belligérante dans le conflit. Le président Macron a voulu jouer le négociateur, et on se souvient de la table mémorable de son entrevue avec le président Poutine.

Le changement de régime aux États-Unis a déclenché une nouvelle dynamique. Les présidents Trump, Poutine et Zelensky se sont engagés dans des négociations pour ramener la paix en Europe. L’élite européenne, frustrée d’être mise à l’écart, est devenue ultra-belliqueuse… Elle souhaite la poursuite de la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, ou une entrée des forces armées européennes dans le conflit. L’Union européenne s’est muée en une entité belliciste et propose un budget de réarmement de 800 milliards d’euros – ou de dollars – peu importe…
Le président français Emmanuel Macron, qui a tout raté en politique intérieure, souhaite cependant se faire une virginité politique de « combattant de la liberté ». Comme l’a remarqué un commentateur, aucun des faucons français – le président de la République, le ministre des Affaires étrangères, l’ancien premier ministre – n’a de responsabilité familiale… Ils sont très courageux pour envoyer les enfants des autres à la guerre.
Si l’Europe avait écouté Boris Eltsine, le conflit ukrainien n’aurait jamais eu lieu. Mais l’attrait de l’idée brzezinskienne d’affaiblir la Russie pour mettre main basse sur ses fantastiques ressources naturelles les a tous aveuglés… L’Europe a perdu la Russie pour un bon bout de temps. Il est difficile de trouver des dirigeants politiques aussi myopes que les politiciens européens en 2025.
Augustin F. C. Holl
A Chasseneuil sur Bonnieure